Beauté et écologie

Depuis les années 60 nous assistons à un massacre organisé de notre cadre de vie. Déjà dans les années 70, Michel Péricard lançait un cri d’alarme avec son émission “La France Défigurée”.


Depuis on a encerclé nos villes de hangars métalliques uniformes et liquidé notre habitat traditionnel en pierre par des maisons en préfabriqué. La voiture a imposé que l’on balafre nos paysages de voies rapides, d’échangeurs, de rocades et de ronds points. Les buffets à volonté asiatiques, les Kebabs et les tacos ont liquidé nos auberges et restaurants de village. 
La France des banlieues et des périphéries a subi un viol systématique de ses territoires. Le rouleau compresseur de la société de consommation a aplati deux millénaires de génie français.


Le pays de Rabelais est devenu le champion de la grande distribution avec 1.400 hypermarchés et 8.000 supermarchés. C’est là une spécificité française : 70 % du chiffre d’affaire commercial est réalisé en périphérie des villes alors qu’il n’est que de 30 % en Allemagne. La nation de Mansart et Lenôtre a transformé la maison en produits que l’on commande sur catalogues. 
Cet enlaidissement français n’est pas le fruit d’un hasard ou le résultat d’un alignement des mauvais goûts mais la conséquence d’une démission. Nos dirigeants ont abdiqué devant l’exigence de beauté.
Depuis que la France est France, notre habitat, nos villages, nos villes ne sont pas pensés comme des objets fonctionnels et temporels mais comme une représentation symbolique et spirituelle du monde. C’est le lieu du temps long. Ici une église marque dans la pierre la puissance mystique de l’adoration christique, là un monument rappelle la grandeur de nos aïeux. Les constructions étaient pensées pour nous donner l’intuition de notre humanité totale, faite de matière et d’esprit. Friedrich Schiller l’a merveilleusement exprimé “la beauté travaille à l’avènement en l’homme de la volonté libre”. 
La beauté et la majesté étaient pour nos gouvernants impératives. Elles étaient non seulement la marque de leur grandeur mais scellaient le pacte social. Misérables ou puissants, nous étions tous, nous Français, égaux face à la beauté de nos bâtiments et de nos terroirs.


Depuis l’antiquité, l’espace public est le lieu où réside notre vie civique et où s’incarne la manifestation physique du bien commun. Il répond à des règles universelles de conception. Il est pensé pour nous dire qui nous sommes, d’où nous venons et où nous allons. Les espaces, les places, les rues, les avenues y sont bien définis et perméables : les commerces, les habitations et les activités s’y côtoient. Le besoin de transformer le citoyen en sur-consommateur a poussé nos dirigeants à appliquer à nos territoires la logique de la grande distribution. Le cadre de vie est devenu un circuit : les zones commerciales où se concentrent des  monstres de métaux colorés, les parcs d’activités qui se vident la nuit, les lotissements de sommeils peuplés de barre HLM puis de pavillons. 
L’horreur esthétique a accompagné sa soeur, l’horreur économique. On a construit des hangars par milliers et des pavillons par millions. L’aménagement communal standardisé a écrasé les terroirs. 


Pompidou rêvait d’une France de propriétaires de maisons individuelles. L’usine à maisons a rendu ce rêve abordable. Les Français se sont mis à croire que le climax de l’épanouissement social était de devenir propriétaire d’un pavillon avec son jardin. On a détruit la distinction entre l’urbain et le rural. Les barres HLM, construites comme une réponse au mal logement de l’après guerre, se sont vidées de leurs primo habitants pour accueillir de nouveaux arrivants issus de l’immigration et se transformer en ghettos ethniques. Puis la pression foncière a vidé les centres villes de ses classes populaires au profit des zones pavillonnaires toujours plus nombreuses. La France périurbaine composée à quatre-vingts dix pour cent d’habitats individuels, dont la moitié organisée en lotissements, est passée de neuf millions d’habitants en 1968 à plus de quinze millions aujourd’hui. 


Utopie des classes moyennes, le sentiment de déclassement submerge les lotissements. Alors que l’inflation enflamme les centres villes, les maisons s’y revendent moins chères qu’à l’achat. Prisonniers de leurs voitures, les habitants - qui font en moyenne cinquante kilomètres par jour pour se rendre à leur travail - étouffent face à l’augmentation des prix de l’essence. La convivialité, qui y régnait il y a quelques décennies, a disparu. En quarante ans, quatre-vingt dix pour cent des cafés de France ont été liquidés. Le supermarché est devenu le dernier lieu de rencontres. Les grandes villes ont souffert, mais protégées par la concentration de monuments historiques et les lois Malraux, elles ont su conserver une beauté française, un habitat traditionnel avec l’urbanisme haussmannien et un commerce de proximité.

Il existe aujourd’hui trois France.


Celle des villes qui profite encore d’une harmonie urbaine et du bonheur de pouvoir acheter, en bas de chez soi son pain chez son boulanger. La France périphérique, que l’on appelait autrefois campagne, que l’on quitte tous les matins par la voie rapide et que l’on retrouve tous les soirs, après avoir fait son plein dans un hypermarché. Et la France des banlieues, assignée à résidence dans un univers de béton ethnicisé où l’identification religieuse a remplacé le sentiment de classe.

La décomposition culturelle et esthétique de la France périphérique et des banlieues est une profonde rupture dans notre pacte identitaire et millénaire. Elle est la cause des fractures qui fragilisent notre pays.
Le droit universel à la beauté était notre ciment identitaire. Le riche comme le pauvre, l’habitant des villes comme celui des campagnes communiaient autour de la beauté française. Les puissants, des châteaux médiévaux aux écoles de la troisième république, n’avaient de cesse de faire vivre cet héritage. 


La beauté est l'âme française. En priver une majorité de nos compatriotes, c’est assassiner ce qui fonde notre propre existence, nos racines et notre vivre ensemble. C’est jeter notre pays dans l’ornière de la division. La restauration de nos paysages et la réaffirmation de l’élégance doivent s’imposer comme une urgence politique. Pas uniquement parce que l’horreur esthétique détruit l’idée du goût et installe le brutalisme et le mépris des hommes dans notre quotidien. Mais, surtout et essentiellement, parce qu’elle fonde notre identité et sert de socle à notre concorde nationale. Le chantier semble immense mais nous rentrons dans une période de changement, marquée par la fin de l’ère du pétrole, qui va tout changer. Nous allons devoir changer tout ce que nous faisons. Vivre au plus près de l'endroit où nous travaillons.


Nous voyons, tout autour de la terre, des solutions émerger. Des circuits courts se mettent en place en France. De nouveaux urbanistes se réapproprient les codes du “civic design” et repensent la ville comme un organisme vivant qui intègre notre vie de citoyens. Le bois s’impose comme une alternative aux maisons préfabriquées construites en placoplâtre. Le numérique est une opportunité pour repenser notre manière de travailler.

La beauté et l’écologie doivent avancer ensemble comme des soeurs et frères. L’urgence climatique est une opportunité pour refaire de la beauté et de l’art de vivre à la française un commun.

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