Penser le temps long de la mobilisation

La classe politique semble tétanisée par l’abstention massive qui s'est transformée en grève du vote lors des élections régionales et départementales en France.

Mais comment pourrait-il en être autrement quand les organisations politiques ne font campagne que lors des élections. Vous trouvez que j’exagère.

A chaque élection le processus est le même et touche l’ensemble des organisations. On constitue une équipe de campagne, on élabore un programme, on adopte une charte graphique, on construit un site web, on constitue une base de données, on soigne sa communication sur les réseaux sociaux et on tente de mobiliser des supporters. Le soir de l’élection arrive et… … tout s'arrête. On dissout l’équipe, on arrête de communiquer et on éteint le site web. La mobilisation s'achève jusqu’à la prochaine élection où l’on reprendra exactement le même processus. 

Depuis l’effondrement des mouvements de masses issus du gaullisme ou du communisme, Sisyphe a pris le contrôle des organisations politiques. On y épuise les bonnes volontés en poussant les militants à pousser une pierre jusqu'à un sommet d’où elle finit toujours par retomber avant de recommencer encore et encore. Le résultat est sans appel : les organisations politiques sont victimes d’une atrophie généralisée. Année après année, leurs facultés à mobiliser s'affaiblissent, elles perdent structurellement du poids et sont de moins en moins capables de mobiliser.

Soyons concrets. Prenons les dernières élections, du Rassemblement National aux Verts en passant par le Parti Socialiste et les Républicains nous avions 4 organisations qui existent depuis presque 40 ans et qui récoltent des emails et de la data depuis au moins 20 ans. On pourrait imaginer qu’avec une telle expérience elles disposent d’une puissance de mobilisation hors norme en étant capable d’envoyer des dizaines de millions de messages et de passer des centaines de coups de téléphone. Bref d’assurer par leur seule capacité de mobilisation un taux de participation correct à une élection.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, alors que ces 4 partis ont dépensé (en prenant uniquement en compte les dotations de fonctionnement les remboursements des comptes de campagne) plus de 1,5 milliards d’euros dans les vingt dernières années, elles sont totalement indigentes en termes de data. Elles sont totalement incapables d’utiliser leurs bases de données pour mobiliser des électeurs simplement parce qu’elles sont vides. Elles disposent de très peu d’emails et de sms. La mobilisation est aux partis politiques ce que le sexe est aux adolescents. Un sujet qui les obsède mais qu’ils ne pratiquent pas. 

Pour le dire brutalement, l’apathie démocratique est fortement dûe à des organisations qui s’enferment dans le temps court des élections et sont incapables de penser la mobilisation comme un processus continu.

Et c’est le grand paradoxe de l’époque. Alors que les organisations politiques n’ont jamais disposé, grâce à la data et aux réseaux sociaux, d’autant de ressources technologiques pour comprendre les besoins, co-construire des solutions, engager et former des citoyens, entretenir une relation sur le temps long et faire communauté ensemble, elles n’ont jamais été aussi faibles. 

Elles se trompent sur un point essentiel. Elles font de l’élection un point d'arrivée, une fin en soi. Alors que c’est tout l’inverse. C’est un point de départ, un commencement ou plutôt une étape sur une route plus large qui est celle de la mobilisation.

Et c’est là toute la différence entre les organisations politiques atrophiées que nous connaissons et les mouvements de masse qui structurent la société jusqu’aux années quatre-vingt. Alors qu’elles ne disposaient pas d’outils d’e-learning ou de base de données, l’ensemble des organisations politiques, qu’elles soient issues du gaullisme, de la démocratie chrétienne ou du communisme, avait en commun de penser la mobilisation sur le temps long. Les organisations engageaient la jeunesse, formaient des cadres, créaient des moments de grande convivialité. La mobilisation ne s'arrêtait pas le soir d’une élection, elle était permanente.

Les organisations politiques doivent redevenir des bâtisseurs du temps long. C’est une question de survie démocratique.

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