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Internet et la culture de la médiocrité

L'Internet était une promesse utopique, il est devenu notre cauchemar contemporain, s'alarme le pionnier du Web français Bruno Walther. Hypnotisés par nos écrans, nous ne cherchons plus à changer le monde mais à le fuir. Et si l'on se reconnectait au réel ?

Gueule de bois. C’est le sentiment que nombre d’entre nous avons aujourd’hui. Nous avons fait la fête sur les promesses d’un nouveau monde. Nous pensions que les technologies en général et l’Internet en particulier signaient la promesse d’une nouvelle espérance. Nous imaginions que la technologie était par essence porteuse de sens. Qu’elle pouvait se substituer aux règnes des idéologies déchues. Internet était prophétique. C'était la multiplication des petits pains avec le porno en plus.

Puis vint l’impensable.

L'Internet était une promesse utopique, il est devenu notre cauchemar contemporain. Hypnotisés par nos écrans, nous ne cherchons plus à changer le monde mais à le fuir. Et si l'on se reconnectait au réel ?

Gueule de bois. C’est le sentiment que nombre d’entre nous avons aujourd’hui. Nous avons fait la fête sur les promesses d’un nouveau monde. Nous pensions que les technologies en général et l’Internet en particulier signaient la promesse d’une nouvelle espérance. Nous imaginions que la technologie était par essence porteuse de sens. Qu’elle pouvait se substituer aux règnes des idéologies déchues. Internet était prophétique. C'était la multiplication des petits pains avec le porno en plus.

Puis vint l’impensable.

Nous pensions que les réseaux sociaux seraient la matrice d’une intelligence collective globalisée et nous avons eu Trump. Que le Net serait un espace pacifié et nous avons les cyberguerres et les fake news. Que Youtube serait un espace où la créativité bienveillante serait triomphante et nous avons eu Soral et les propagandistes d’AlQuaïda. Que la data permettrait de construire un monde plus transparent et nous avons eu Cambridge Analytica. Qu’internet serait la matrice d’une nouvelle croissance des savoirs plus durables et nous avons eu l’explosion d’un cyber-consumérisme qu’incarnent le Black Friday et l'obsolescence programmée comme mode de conception des produits.

Le réveil est rude.

Que s’est-il passé pour en arriver là ?

Le monde de l’Internet, à l’instar des communistes avant eux, a pensé que l’on pouvait faire du passé table rase. Que les lendemains qui chantent viendraient à bout des contingences humaines et morales. L’Homo numericus nouveau serait forcément bienveillant, ouvert au monde et respectueux de la nature.

Nous avons eu tort.

Nous nous sommes trompés sur un point essentiel : Internet n’est pas une utopie mais un outil.

Et pour comprendre cet outil nous devrions nous replonger dans les lectures d’Ivan Illich.

Philosophe et précurseur de l’écologie politique, Ivan Illich démontre que les outils ne sont pas neutres. Ils portent leur propre finalité. Ils sont la matrice qui modèle les rapports sociaux que les hommes nouent entre eux. La voiture, à l’origine simple objet technique permettant de transporter les gens, transforma les paysages et bouleversa les modes de vie.

Critique radicale de la société industrielle, Ivan Illich affirme que « lorsqu'une activité outillée dépasse un seuil, elle se retourne d'abord contre sa fin, puis menace de destruction le corps social tout entier ». Pour lui dès qu’un outil est institutionnalisé et s’impose comme ce qu’il qualifie de « monopole radical », un outil dont personne ne peut se passer et dont l’usage devient une injonction de consommation, il devient dysfonctionnel et détruit l’objectif qu’il est censé servir. L’automobile fait perdre plus de temps qu’elle n’en fait gagner.

Internet, comme les réseaux sociaux, se sont imposés en une poignée d’années comme un monopole radical tel que l’on a rarement connu. Il est devenu quasiment impossible de vivre en mode déconnecté. Le digital a pris le contrôle de notre intimité, le mobile est devenu une prothèse, une hypertrophie de notre moi.

Le digital marque la victoire posthume d’Ivan Illich. Il illustre avec superbe ses démonstrations. En quelques années, Internet est devenu un objet mutant dysfonctionnel. Il était censé rapprocher les hommes, il les fracture. Au lieu de rendre la planète plus intelligente, il développe une sous-culture de la médiocrité.

La réalité est cruelle : la finalité de l’Internet est uniquement de croître, de s’imposer à tous. Pour cela, il mute et impose le bovarysme comme un horizon indépassable. Que vient faire Emma Bovary dans cette aventure ? Rappelez-vous de ce personnage de Flaubert, toujours insatisfait, qui cherche à échapper à tout prix à l’ennui, à la banalité et à la médiocrité de la vie provinciale. Il est caractéristique de l’usage que nous faisons de l’Internet. Sur les réseaux sociaux, la réalité n’est plus qu'une perception. On se construit un monde imaginaire fait de selfies, de margaritas sur des plages ensoleillées. La réussite sociale se compte en nombre de likes. L’enjeu n'est plus d'être ou d'avoir mais de paraître.

L'humanité numérique semble droguée aux mouvements. Le temps se rétrécit.

« Fuir dans le rêve l'insatisfaction éprouvée dans sa vie », telle est la définition que donnait Jules de Gaultier du bovarysme. Je n’en ai pas trouvé de meilleure pour décrire le temps présent.

Le digital, en proposant une réponse digitale à cette espérance bovaryste de quitter le monde de l’ennui pour basculer dans le mouvement perpétuel, a conquis le temps de cerveau disponible des humains.

L’emphase technologique qu'offre aujourd'hui le digital au bovarysme marque une révolution dans notre manière de vivre le monde.

Depuis la naissance de l’Homme, l’insatisfaction est le moteur du progrès. C’est elle qui nous permet de nous élever. De transcender le réel par l'effort et la créativité. De dépasser notre condition d’homme pour devenir des créateurs. La figure du bovarysme que nous propose le digital aujourd’hui en est l'exact inverse. C’est fuir la réalité plutôt que chercher à la transformer. C’est la recherche du mouvement incessant même le plus futile. C’est la peur panique de l’ennui. C’est préférer scénariser son existence que de la vivre. C’est la dictature de l'instant, la quête de la nouveauté. C’est l’illusion comme infini et le néant comme réalité.

Pour paraphraser Kant, cette société de l’illusion est un crime social et ontologique.

Crime social parce qu'il dénature la parole, fondement de toute relation sociale. Nous écoutons notre prochain parce qu’implicitement nous croyons ce qu’il nous dit. La parole n’est qu’un engagement. Déconnectez le verbe de la réalité et la possibilité de croire en l’autre n’est plus. Vous coupez immédiatement la relation sociale. L'altérité devient une absurdité. Vous n'aimez plus l’autre mais une chimère.

Crime ontologique parce qu'il dénature ce qui nous différencie du monde végétal, la conscience. « Un homme qui ne croit plus lui-même ce qu’il dit à un autre, régresse en deçà de la chose». « Le mensonge est un crime contre soi-même, contre l'humanité », nous rappelle Kant.

C’est un constat un peu radical mais le digital bovarysé provoque une dénaturation de la conscience, une mystification intentionnelle. C'est la victoire de Bérénice sur Titus. De l'impétuosité absolue de la mystique du bonheur romantique sur les devoirs liés à sa charge ou à son héritage.

Je vais le dire directement mais le digital fait peser sur notre civilisation un risque mortel.

Une société où l’enjeu n’est plus de transmettre mais de paraître enfante des monstres. Ils se répandent sur les plateaux de la télé-réalité. Le ridicule et la médiocrité intellectuelle d’Emma Bovary deviennent un absolu et envahissent la Maison-Blanche. Symptômes de cette société postmoderne qui sanctifie la vulgarité.

La catastrophe n’est pas loin. Elle gronde.

À moins que nous options pour un changement de cap. Une rupture radicale.

La vie ne se mesure pas à l’entassement des objets mais plutôt à l’art de maîtriser ou plutôt de vivre le temps qui passe.

Rappelons-nous que le temps est ce que l’homme a de plus précieux. Nous pouvons conquérir l’espace, accumuler des choses mais le temps, lui, est unique. Les minutes que vous venez de passer à lire ce texte ne sont qu’à vous. Vous ne pourrez pas les racheter. Pas plus que vous ne savez combien de temps il vous reste à vivre. Il appartient au destin. Il est sacré.

Le temps, voilà le combat central que nous devrions tous, à notre échelle, mener. Reprendre son contrôle. Inscrire notre réflexion et nos actions dans le temps long. Consommer du temps avec nos proches plutôt qu’avec des écrans. Accepter de se perdre dans le visage de l’autre et non dans son avatar fantasmé.

Le jour où nous redeviendrons des bâtisseurs et non des destructeurs du temps, le digital ne sera plus un « monopole radical » mais redeviendra un espace d’échanges où des intelligences collectives et positives s'épanouiront à nouveau.

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Reprendre le pouvoir

Le casque de réalité virtuelle a 10 ans.
En 2010, Palmer Luckey a 17 ans. Il se passionne pour l'électronique et l'ingénierie. Il possède une collection de plus de cinquante casques de réalité virtuelle. Il les trouve peu efficients. Il veut aller plus loin. Il rêve d’un casque qui lui permettrait de s'immerger littéralement dans la réalité virtuelle. Il commence à travailler, dans le garage ses parents, à ce qui deviendra le casque Occulus que Facebook racheta, en 2014, pour trois milliards de dollars.

Depuis Palmer a quitté Facebook et abandonné la réalité virtuelle. Sa nouvelle passion : Donald Trump qu’il soutient depuis 2016 et la lutte contre l’immigration. Il a cofondé avec les dirigeants de Palantir une société de défense, Anduril, qui à l’aide de drones et de capteurs électroniques, traque les migrants qui tentent de passer la frontière. Le programme s’enorgueillit d’avoir stopper 55 tentatives d'entrée dès les 12 premiers jours de sa mise en fonction.

Le casque de réalité virtuelle a 10 ans.

En 2010, Palmer Luckey a 17 ans. Il se passionne pour l'électronique et l'ingénierie. Il possède une collection de plus de cinquante casques de réalité virtuelle. Il les trouve peu efficients. Il veut aller plus loin. Il rêve d’un casque qui lui permettrait de s'immerger littéralement dans la réalité virtuelle. Il commence à travailler, dans le garage de ses parents, à ce qui deviendra le casque Occulus que Facebook racheta, en 2014, pour trois milliards de dollars.

Depuis Palmer a quitté Facebook et abandonné la réalité virtuelle. Sa nouvelle passion : Donald Trump qu’il soutient depuis 2016 et la lutte contre l’immigration. Il a cofondé avec les dirigeants de Palantir une société de défense, Anduril, qui à l’aide de drones et de capteurs électroniques, traque les migrants qui tentent de passer la frontière. Le programme s’enorgueillit d’avoir stoppé 55 tentatives d'entrée dès les 12 premiers jours de sa mise en fonction.

Mike Zuckerberg, lui, continue de vouer une grande passion aux casques de réalité virtuelle et à surinvestir cette catégorie. 
Au point que dans ses vœux de début d’année, il n’a pas pris son traditionnel engagement annuel. Il a préféré partager sa vision de ce que sera le monde en 2030.

Il constate que, tous les dix ans nous changeons de plateforme. En 1990 ce fut l’ordinateur, en 2000 le web, en 2010 le mobile. Pour lui, au milieu des années 2020, des lunettes de réalité virtuelle révolutionnaires deviendront la plateforme centrale qui redéfinira notre relation aux technologies. 

Dix ans après le début des travaux de Palmer Luckey, il imagine que les lunettes de réalité́ virtuelle permettront de travailler, de nous divertir, de voyager, de rencontrer nos familles et nos amis. Il imagine qu’elles redéfiniront notre rapport à la ville et à l’espace. C’est pour lui la grande révolution majeure à venir. 

Nous aurions tort de prendre cette prédiction à la légère. 

Depuis 40 ans la digitalisation s’incarne dans des écrans qui n’ont de cesse de capter notre attention. Ils furent massifs et non connectés au début. Puis ils se transformèrent en espace d’échanges avec le web. Avec le mobile, ils se sont miniaturisés pour devenir des excroissances de nous-même. 

Mais surtout, chaque nouvelle plateforme a augmenté́ notre addiction.

En 2020, 30 % de notre temps d’éveil cérébral, c’est-à-dire le moment où nous ne dormons pas, est capté par une attention venant des écrans. Les optimistes nous dirons qu’ils nous reste 70 % de notre temps pour travailler, voyager, nous perdre dans le visage d’un autre.

C’est précisément à ces 70 % de temps de cerveau disponible non capté que la réalité virtuelle veut s’attaquer.

Elle là est la grande ambition de Mark Zuckerberg. L’enjeu du “capitalisme mental” qu’incarne Facebook, n’est plus de s’approprier les ressources naturelles, d’exploiter les hommes par la propriété́ des biens de production mais de s’approprier nos ressources attentionnelles. 

Le capitalisme mental n’exploite plus la force de travail des hommes, se moque de posséder les moyens de production, de faiblement rémunérer ses employés. Il exploite commercialement notre attention. Son enjeu est le contrôle de notre consentement.

Le capitalisme est par essence inégalitaire et conflictuel. Le capitalisme mental n’y déroge pas. Facebook, WhatsApp, Instagram et demain les casques de réalité virtuelle épuisent nos ressources attentionnelles en les exploitant dans une logique « hyper-productiviste ». Cette prédation émotionnelle se traduit par des blessures narcissiques et un accroissement de la misère psychique. C’est particulièrement frappant chez les adolescents. Ici des lycéens populaires baignent dans l’attention tandis que des miséreux peuvent commettre des actes désespérés pour ne serait-ce que passer une minute sous les projecteurs.

Cette inégalité n’est pas nouvelle. C’est sa systématisation, son emphase et surtout le fait que la valorisation sociale prend le pas sur le désir de richesse spirituelle ou matérielle qui constitue le marqueur de l’époque.

Nul ne veut le voir avec lucidité mais nous faisons face à une crise sanitaire sans précédent. Partout, nous observons une explosion des pathologies sociales de l’attention : trouble de l’attention, stress, burn-out, dépression.

Dix ans après la naissance du prototype de l’Occulus, il y a urgence à reprendre le contrôle individuel et collectif de notre attention. C’est une question politique. Nous devons réaffirmer notre souveraineté individuelle. 

Avant qu’il ne soit trop tard, nous devons interdire par la loi la prédiction de Marc Zuckerberg.

Les dévoreurs d’espérance nous expliquent, pour mieux cacher leurs inactions, qu’il est impossible de réguler la nouvelle économie. Ils ont tort. Le pouvoir politique, quand il est volontariste, est fort. Nous l’avons vu aux États-Unis. Il a suffi d’une convocation devant le sénat pour voir Mark Zuckerberg suer à grandes eaux.

Nous pouvons reprendre le pouvoir. Il nous suffit de le décider.

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